Valérie

AFBO-ValérieCette semaine, nous avons encore eu droit à une palanquée de propos culpabilisants et stigmatisants pour les personnes touchées : sur-investies, workaholic, ils ne savent pas dire non…

Oubliez ce que vous avez entendu ! La souffrance au travail existe, mais le « burnout » est une maladie, un état de santé mais surtout un processus de dégradation de l’état de santé, déclenché par des conditions de travail spécifiques : épuisement physique, intellectuel et émotionnel quand survient un conflit d’éthique.

Oubliez ce que vous avez entendu et écoutez Valérie, dont le nom a été changé, comme d’habitude. Valérie avait pourtant dit « NON ! ».

On a violé ma conscience professionnelle !

Juin 2011 : alors que je suis directrice générale, le Président du Groupe me demande, une nouvelle fois, de préparer une restructuration, de licencier des salariés.

Je ne peux plus. Je ne peux plus virer des gens. Je ne peux plus engager des procédures de licenciement, sachant que les personnes concernées n’auront aucun avenir sur le marché du travail, aucune place. Quelle responsabilité !

Ce d’autant plus, que chaque restructuration ne s’accompagne d’aucune nouvelle stratégie. Rien.

On vire.

On reprend comme avant.

Rien ne change, rien n’est modifié.

Mais reste les « Christine, il me faut plus de chiffre d’affaires ! », « Christine, j’ai besoin de plus de résultat ! ».

Faire plus avec moins, pourtant, je sais faire, j’aime bien optimiser. Mais j’aime optimiser afin que ce soit vivable et mieux adapté à chacun, respectueux des compétences et des capacités de chacun, à la recherche de l’équilibre, de l’équité. Là est la vraie compétence et la véritable performance !

La performance n’est pas présente lorsque l’objectif est de produire plus de résultat et permettre aux actionnaires de percevoir plus de dividendes, alors qu’au même moment, le poste de chacun des salariés est menacé. Dissonance.

Alors, j’ai refusé. J’ai refusé de licencier les gens, là comme ça. Cette ultime restructuration n’avait plus de sens.

J’ai expliqué les raisons et j’ai proposé de partir dans la restructuration.

Mais à ce moment-là, j’étais, m’a-t-on affirmé, « indispensable ». L’entreprise ne pouvait tourner sans moi.

Alors, quelle erreur ai-je commise ?

À ce moment-là, j’étais déjà beaucoup dans l’émotionnel, c’était un constat et un aveu d’échec : malgré les nouveaux procédés, malgré les formations aux salariés, malgré la mise en place d’outils de motivation aux salariés, malgré toute la motivation que j’ai pu mettre et celle des salariés, force était de constater que cela ne fonctionnait pas. IL fallait plus. Je ne savais pas faire. Je ne pouvais pas faire mieux ; je ne pouvais pas faire plus.

Il m’a été proposé de m’aider pour la restructuration… je n’ai pas su trouver la capacité simplement de tenir ma position, mon départ a été refusé …et je suis restée.

A partir de là, ont commencé ces longs 19 mois de descente aux enfers, 19 mois de résistance, 19 mois pendant lesquels j’ai vécu et expérimenté (ça je le dis avec du recul) les étapes du burn-out.

Mars 2013 : diagnostic du médecin du travail : aller voir votre médecin traitant et faîtes-vous arrêter : BURN-OUT EPUISEMENT PROFESSIONNEL

C’est fini !

BLACK OUT.

VIDE.

Plus capable de parler.

Plus capable de me lever.

Plus capable de marcher 50 mètres dans ma rue.

Plus capable de faire à manger pour mes enfants.

Plus capable de me souvenir où je viens de poser tel objet.

Plus capable d’aller au marché (trop de bruit).

La liste est tellement longue, c’est un épuisement :
– physique
– émotionnel
– intellectuel
– physiologique.

Tous les compteurs sont réduits à néant, toutes les ressources et énergies ont été utilisées ; telles dans un véhicule, plus de carburant, plus d’huile moteur, plus de liquide de refroidissement, plus de bougie, …

M’entendre expliquer au médecin :
« docteur, quand je parle, au bout de 3 minutes, j’ai la tête qui chauffe ! »
« Quand il y a de la lumière, je dois fermer les yeux, sinon j’ai des maux de tête ! »

Aujourd’hui je dis, avec toute la violence de ces mots : on a violé ma conscience professionnelle.

À différentes reprises, j’ai osé exprimer mes désaccords, demandé les investissements et moyens dont j’avais besoin pour atteindre les objectifs qui m’étaient imposés, verbalisé les aspects non réalistes des objectifs ; et ce toujours en argumentant et en expliquant, avec une conscience professionnelle toujours égale.

Malgré toute cette énergie « à faire bien », je n’ai jamais rien obtenu.

Chaque projet d’équipe que je proposais de partager et de mettre en place afin d’obtenir une synergie, était mort dans l’œuf.

Je n’obtenais la plupart du temps pas de réponse à mes demandes.

Je sentais une présence (surveillance) constante : le sport préféré du Président du Groupe était de téléphoner au bureau le premier lundi de mes vacances pour « demander où je me trouvais », mettant de la suspicion chez mes collègues (« mince, Christine lui a pas dit qu’elle était en vacances ? »)

Les vacances, c’est mal ! Vous n’êtes pas disponible ! Du coup, vous les prenez mais en culpabilisant.

Aujourd’hui, avec du recul, le poste que j’ai occupé était le pire que j’ai expérimenté : Directrice Générale de la filiale française d’un Groupe américain, dans l’industrie automobile, seule femme parmi 30 General Managers masculins ! une extra-terrestre quoi …

Vos interlocuteurs locaux, clients, fournisseurs, salariés, etc … sont persuadés que vous détenez le pouvoir de diriger.

Concrètement il n’en est rien. Aucun moyen, financier, humain, technique ne m’a jamais été donné pour atteindre mes objectifs et je n’avais aucun pouvoir (c’est-à-dire MA délégation de pouvoir) pour décider sur ces points-là.

Je n’étais qu’un pantin, j’étais le fer que l’on chauffe pour le marteler entre le marteau et l’enclume.

Et ça fait mal, c’est violent. J’ai la sensation que l’on a « abimé » ma conscience professionnelle, on a violé ma conscience professionnelle.

J’ai dit non ; mais ce NON n’a pas été respecté.

Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, j’ai encore des séquelles : je reste très limitée dans mes capacités de concentration.

En revanche, j’ai appris (et j’apprends encore chaque jour) à prendre plaisir à faire.

Le plaisir de faire, tenir compte de mes capacités au moment présent. J’ai retrouvé ma joie de vivre !

Objectif : retrouver le plaisir de travailler.

Travailler n’est pas une souffrance (comme le dit Léa), ce sont les Dirigeants avec lesquels j’ai travaillé qui ont créé ce climat de souffrance.

Et je suis optimiste car je sais qu’il est concrètement possible de travailler autrement que guidé par le diktat du tout financier au détriment de la personne.

Valérie
Publié le 28 février 2016.