Christine

AFBO-nursery schoolC’est la semaine du « burnout » puisque de reportage en conférence de presse, tous les « experts » vont à nouveau s’exprimer sur notre cas. Je vous invite à écouter plutôt l’une de nos protégés. Son parcours me rappelle le constat de l’un des chercheurs qui s’est intéressé à cette maladie professionnelle, qui  conclut que le « burnout » ne peut avoir pour origine que le travail, par conséquent, il peut toucher de nombreux travailleurs évoluant dans des horizons très divers.

Je vous demande de lire avec attention et d’accueillir Christine (1) qui nous retrace son parcours et le fruit de son expérience propre, son parcours thérapeutique ne devant être considéré que comme un partage d’expérience et non comme un conseil médical.

J’ai commencé ma vie professionnelle en tant que commerciale, mais au bout d’une quinzaine d’année, cette profession ne m’apportait plus la satisfaction nécessaire et j’ai amorcé une reconversion.

1997-1998,  je prépare, passe et obtiens le CAP petite enfance.
1999-2007, je devins assistante maternelle.
2005, je prépare, passe et obtiens le concours d’ATSEM (concours de la fonction publique territoriale permettant d’être agent de service en école maternelle).

Ce concours est valable seulement pendant 3 ans. Cela signifie que si l’on ne trouve pas de poste au cours de ces trois années, le concours est perdu, il faut le passer à nouveau. Autant dire que je n’ai pas été trop regardante sur les postes proposés, d’autant qu’il y en avait très peu et que je voyais le temps défiler.

2007, la mairie pour laquelle je travaille actuellement m’embauche en tant que stagiaire, je suis titularisée un an plus tard. C’est la réalisation d’un objectif me tenant particulièrement à cœur, je suis sur un nuage, ma valeur professionnelle est confirmée, mon travail me plait, il est riche en expériences tant auprès des enfants qu’auprès de l’enseignante que j’assiste, je peux dire que j’ai à cette époque le sentiment de me réaliser pleinement sur le plan professionnel.

Il a fallu, après quelques mois revoir les horaires de travail en ce qui concernait le ménage car ils ne correspondaient pas à l’ampleur de la tâche demandée. Je n’ai jamais été briefée en quoi que ce soit, il a fallu que « j’apprenne sur le tas ».

Sur ce lieu de travail, c’est très cloisonné, chacune est dans sa classe et ignore de quelle manière cela se passe pour les autres, il y a peu de communication entre les agents, et jamais autour de la façon dont travaillent les unes et les autres, c’est assez curieux… c’est une petite commune, l’investissement de chacune est indiscutable, mais rien n’est jamais formulé, comme si se gardaient jalousement le fonctionnement de chaque classe, les horaires exacts, les tâches exactes.

Pourtant chaque poste est vraiment différent, selon l’âge des enfants, la taille de la classe et le nombre d’élèves, que l’on accompagne ou non les enfants à la cantine, qu’il y ait ou non une sieste à organiser…

Les journées d’une ATSEM sont longues. Pour moi, à cette période la journée commençait à 7h45 par le ménage des toilettes de l’école primaire, à partir de 8h20 accueil des enfants (petits, ou petits/moyens, donc maximum 4 ans), installer les ateliers demandés par l’enseignante, assurer le fonctionnement d’un de ces atelier. Aider l’enseignante au moment de la motricité. Au moment de la récréation, ranger les ateliers et remettre la classe en ordre, puis installer les couchettes pour la sieste. A nouveau soutien auprès de l’enseignante sur la dernière partie de la matinée. Un petit débriefing, puis le repas avalé sur place en une demi-heure (seule pause de la journée). Surveillance des enfants (toutes classes confondues) dans la cour pendant le temps de cantine (temps périscolaire avec obligation d’être toujours deux adultes minimum). Retour des enfants en classe, la surveillance de sieste m’incombe (une douzaine d’enfants) tandis que l’enseignante travaille avec ceux qui ne dorment pas. Au bout d’une heure, retour en classe et aide à l’enseignante (découpage, collage, préparations diverses cahiers/classeurs et prise en charge des enfants au fur et à mesure du lever de sieste). Rangement des couchettes pendant la récréation, encore un petit temps en classe, puis à 16h30 vient l’heure du ménage. La classe, la salle de motricité, les petites toilettes. 18H, fin de la journée, j’ai une demi-heure de trajet pour revenir chez moi, c’est agréable, route de campagne, toujours de magnifiques paysages.

La semaine heureusement est coupée par le mercredi, et même s’il faut se lever un samedi sur deux pour travailler une matinée, le rythme est soutenu mais tout à fait supportable. Et puis il y a les vacances, une fois ôtées 20h de grand ménage sur chaque période, j’ai du temps pour récupérer être en famille, vivre, et c’est très agréable.

Bien sûr, ce sont des postes éprouvants, on est sans cesse sur la brèche, il faut une attention de tous les instants, on vit dans le bruit continuel, notre patience est mise à rude épreuve, on doit être disponible en permanence, s’adapter à chaque enseignante, être attentive à chaque enfant, développer des trésors de bienveillance ou de diplomatie, avoir une résistance et un calme à toute épreuve, gérer les conflits, apaiser les chagrins, calmer les angoisses… Mais dans cette tâche, on n’est pas seule, c’est l’enseignante qui assume toutes les responsabilités, l’organisation, le déroulement de la journée, l’autorité et tout le travail pédagogique. Travailler en binôme de cette façon me convient totalement, je m’épanouis professionnellement, je suis très satisfaite de ma vie et de mon travail.

Alors, que s’est-il passé ? Comment en suis-je arrivée à ce que à la seule évocation du mot travail me fasse entrer dans un état d’angoisse totale ? Que l’idée d’aller au travail me plonge dans une détresse profonde, partagée entre les larmes et une envie de fuite à tout prix ? Comme si j’étais devenue un animal traqué, en mode survie.

Avec le recul, j’ai pu comprendre, mais, lorsque mon médecin m’a arrêtée la première fois, c’était comme si je prenais un coup sur la tête : je consultais pour une banale pharyngite et voilà qu’il m’arrêtait en me faisant remarquer que l’état de mon moral ne me permettait plus de travailler. Mon monde s’écroulait, et en même temps cet arrêt au mois de juin 2014 m’ôtait un poids que je n’avais pas remarqué être si lourd.

Entre ces deux périodes, la réforme scolaire était entrée en vigueur. Le maire, favorable à cette réforme l’a mise en place dès la rentrée 2013/2014. En fait, je pourrais dire que l’équipe municipale, un peu débordée par l’ampleur du projet, fit reposer toute la responsabilité de l’accueil des classes maternelles sur les ATSEM.

On nous demanda si nous étions d’accord d’assumer ce temps d’une heure de prise en charge des enfants de notre classe de maternelle entre 15h30 et 16h30 chaque jour. Travailler le mercredi matin devint incontournable, et en contrepartie j’obtins de ne plus assumer le nettoyage des toilettes des primaires, et celui du préau. Il faut dire que depuis 5 ans, des douleurs de dos étaient apparues et que depuis cette période, et encore maintenant j’ai une séance kiné tous les quinze jours.

Concrètement, ce changement eu des effets que, par ignorance, je n’avais pas anticipé.

Il fallut, chaque jour, réveiller les petits, afin que tous soient prêts pour 15h30. Cela heurtait, et heurte toujours ma conscience, c’est contraire à ce que l’on m’a enseigné. Durant ces années, le nombre de petits dormeurs était passé de 12 à 27/28, mais je n’avais plus le laps de temps consacré au rangement des couchettes. L’heure dégagée sur le temps scolaire est un temps de détente, aussi, pour des élèves de maternelle, cela signifie du temps de jeux libres encadrés. Il faut savoir qu’une ATSEM ne doit jamais s’occuper seule des enfants, c’est inscrit, c’était jusque-là une prescription intouchable.

Jamais… sauf que là… comment faire ? La commune n’embauche personne, et les enseignantes ne sont plus là… Pas de problème, maintenant, je peux, puisque ça arrange les décisionnaires. Si, si, ça n’est pas un problème, puisqu’on vous le dit… La mairie est responsable en cas de problème. Responsable en justice, oui, mais quid de ma responsabilité morale ? Angoisse s’il arrive quoi que ce soit, d’autant que, si on est seule, comment s’occuper à la fois de l’enfant en difficulté et du reste du groupe ? Non, la mairie tranche, ce n’est définitivement pas un problème.

Et puis, le nombre d’enfants gardés était auparavant de 8 enfants de moins de six ans pour un adulte. Depuis, les maires, devant l’impossibilité d’embaucher suffisamment de personnel pour cette heure de temps périscolaire, ont fait le forcing auprès de l’état qui leur a accordé de confier 14 enfants de moins de six ans pour un adulte. Soit près du double. Et, cerise sur le gâteau, si ça ne suffit pas, à titre expérimental pour 4 ans, il n’y a pas de limite de nombre, et un adulte peut fort bien se retrouver seul avec 16, ou 20 enfants de 3 ou 4 ans.

À l’heure actuelle, mon travail les après-midi se présente ainsi : veiller à l’endormissement des enfants en compagnie de la maitresse et d’une collègue venue en renfort depuis l’augmentation des effectifs à la sieste. Vers 14h/14h15 ils se sont endormis ou vont en classe avec la maîtresse. A partir de 15h, je commence à réveiller les plus grands tout en rangeant les couchettes. A 15h30, tous doivent être levés, et la salle rangée. L’enseignante me confie ceux qui restent jusqu’à 16h30, entre 12 et 15 enfants chaque jour. Le temps que tous soient passés aux toilettes, se soient chaussés puis habillés, je suis en mesure de rejoindre les grandes classes de maternelle et deux collègues dans la cour au bout de 20 mn les meilleurs jours. Je me fais l’effet d’une gardienne de troupeau, le bénéfice pour les petits est nul, ils sont encore tout endormis, doivent attendre que tous soient prêts pour jouer à peine une demi-heure avant de se mettre à nouveau en rang pour attendre l’heure des parents. A 16h45 quand tous les enfants ont été récupérés, je commence le ménage de la classe jusqu’à six heures (mais la charge de ménage est la même et je dispose d’un quart d’heure en moins pour l’effectuer).

Aucune formation n’a été prévue, aucune aide de quelque point de vue que ce soit de la part de l’employeur, j’ai acheté moi-même sur les brocantes alentour les jouets nécessaires pour les périodes où nous devons rester à l’intérieur en cas d’intempéries (pas le droit de se servir des jouets de l’école) sinon rien n’était prévu. Aucune possibilité de revenir sur l’organisation de ces temps. Aucun encouragement financier non plus. Le sentiment d’être lâchée par la hiérarchie, car j’ai dû me débrouiller toute seule, dans une situation ou je n’ai pas eu véritablement le choix. J’ai aussi été choquée que les mairies puissent à leur guise, et pour des raisons financières, transformer les règles établies, même si ça doit être au détriment des enfants ou des conditions de travail, et avec la bénédiction de l’état censé être garant des lois.

Petit à petit, de septembre 2013 à juin 2014 une fatigue de plus en plus insurmontable s’installa, je puisais chaque fois plus loin dans mes ressources, les vacances ne suffisaient plus à recharger mes batteries, le mercredi après-midi n’était plus un temps de repos, mais une demi-journée « fourre-tout » ou je devais caser les rendez-vous divers.

À la rentrée 2014/2015, je repris le travail, pensant que, après les grandes vacances j’allais repartir et tenir le coup. J’ai tenu, en effet, mais à la mi-novembre à bout de force, j’ai craqué, physiquement et nerveusement.

Cette fois arrêt de plusieurs mois, et parcours du combattant bien sur… Personne ne souhaite être désagréable ou agir avec méchanceté, mais en même temps, personne ne comprend réellement ce que vous vivez.

Une fois en arrêt, j’ai refusé les antidépresseurs et entamé un travail avec une thérapeute. Nous avons travaillé en hypnose Ericsonnienne, en programmation neuro linguistique, et des épisodes à base de « jeux de rôle » (ce n’est pas le terme exact mais ça donne idée de ce que c’est).

Bien sûr, cette thérapie m’a énormément apporté, notamment j’ai pu restaurer l’estime que je me porte, et cela me sera utile lorsque je devrai défendre l’aménagement de poste que je compte demander. Mais ça ne résout pas le problème puisque celui-ci est principalement lié au travail.

Lorsque je ne suis plus sous la pression du travail, la fatigue reste très présente, mais le plaisir de vivre, d’être avec des gens, d’exercer des activités revient durablement, tout reprend sa place.

Heureusement, j’ai un conjoint formidable qui est le pilier sur lequel j’ai pu m’appuyer (même si parfois cette maladie sournoise a failli détériorer notre précieux lien) et une famille qui me soutient, et je peux compter aussi sur un solide cercle d’amis.

Au travail, c’est une autre histoire, la compréhension la compassion et l’absence de jugements ne sont pas souvent au rendez-vous, mais j’ai déjà écrit un roman fleuve, nous aborderons la reprise en mi-temps thérapeutique, la rechute en raison de l’absence d’aménagements, et comment j’espère en sortir une autre fois.

(1) Comme pour tous nos témoins, le prénom a été changé.

Auteur : Christine.
Publié le 14 février 2016.